Le quartier de Malagueira, une alternative à la densité verticale ?
- Kévin Planterose
- 16 févr. 2016
- 6 min de lecture

La population de la planète passera de 7 à 9 milliards d’âmes d’ici à 2050 et se composera aux deux tiers d’urbains. Cette explosion démographique se déroulera dans un contexte de crise environnementale qui obligera nos villes à évoluer. Pour la plupart d’entre nous, « verticale » pourrait être l’adjectif qualifiant cette évolution. Alors que certains architectes ou urbanistes pensent à « humaniser » de nouveaux espaces comme les océans ou les sous-sols, la plupart d’entre eux prêchent pour la construction de buildings de plus en plus haut permettant de loger un grand nombre de citadins sur une surface restreinte. Cette conception fondée sur la verticalité voit son origine dans les grands ensembles actuels que l’on retrouve en périphérie des villes. Cependant ces modèles urbains bien qu’attractifs et attrayants à leurs lancements - dès la fin de la seconde guerre mondiale - sont aujourd’hui mal vus, contraignants et même ségrégateurs du moins pour les populations les plus aisées. La question qu’il est donc légitime de se poser est la suivante : Comment convaincre l’humanité de demain à vivre dans des habitats très denses ?
Un architecte atypique pour un projet unique
Alvaro Siza a réussi à créer un nouveau modèle réussissant à combiner la même densité de population qu’un grand ensemble classique tout en permettant aux habitants de vivre dans des maisons individuelles et à même le sol qu’ils ont eux-mêmes choisies. Il est le créateur du quartier novateur de Malagueira au Portugal. Cet architecte de renommée mondiale n’est pas un homme didactique, théorique ou encore moins pédagogue, il s’oppose aux projets préconçus et aux applications systématiques. C’est avec ces idéaux qu’il a voulu faire de Malagueira un exemple d’habitat nouveau. Pour mieux comprendre le contexte politique et urbanistique de ce projet, un retour dans les années 70 s’impose.
Un projet avec les futurs habitants et non pour les futurs habitants
Le 25 avril 1974 a lieu la révolution des Œillets qui entraine la chute de la dictature Salazariste qui dominait le Portugal depuis 1933. Le SAAL (Service Ambulant de Soutien Local) est créé après cette révolution afin de pallier au manque de logement et d’améliorer les conditions de vies dans les villes portugaises. Ce programme, soutenu par le nouveau gouvernement socialiste temporaire associait des architectes aux communes locales afin de développer de nouvelles solutions pour le logement tout en tenant compte de l’avis des résidents. L’objectif assumé était de concevoir des projets de logements avec les futurs habitants et non pour les futurs habitants. En 26 mois d’existence, jusqu’au mois d’octobre 1976, le SAAL a produit quelques 170 projets impliquant plus de 40 000 familles. Alvaro Siza est donc nommé par la commune pour régir le projet du quartier de Malagueira à Evora tandis que les habitants lui demandent de travailler sur la construction des maisons. Ce projet associant pouvoir public et riverains a survécu à la chute du programme national. Les riverains se sont associés en coopérative après la dissolution des SAAL en 1976 ce qui a permis à Alvaro de continuer à travailler avec les futurs habitants (1).
Le secteur du projet se situe entre le quartier clandestin de Santa Maria relié par une voie communale à la ville d’Evora et le quartier clandestin de Nossa Senhora de Gloria à côté de l’école et de vieux moulins. Un plan existait déjà et prévoyait la création de bâtiments hauts dont quelques-uns furent construits. Alvaro Siza s’intéresse tout d’abord à la vitalité de ces deux quartiers et de leurs interactions : les passages jusqu’à la fontaine, pour aller à l’école ou se rendre d’un quartier à l’autre. Ces interactions ont laissé au cours du temps des traces sur le sol qui expliquent les différents comportements et les parcours les mieux adaptés à la vie quotidienne dans ce secteur. Il est apparu à Silva que le lien entre ces deux quartiers était une priorité pour la réussite finale du projet. Deux autres axes constituent la structure du futur quartier :
L’axe Est/Ouest pour relier le nouveau site à la ville ;
L’axe Nord/Sud pour favoriser les mouvements quotidiens des habitants entre le terrain et le quartier de Nossa Senhora de Gloria.
Le long de ces axes a été proposé de nombreuses constructions se rapprochant du quartier de Santa Maria. L’espace libre entre les deux quartiers nommés Broadway sépare les constructions nouvelles des anciennes et permet la régénération des espaces ouverts.
Un modèle à deux vitesses contre la monotonie
[endif]-- Alvaro Siza commence par proposer des habitations toutes identiques : la bâtisse en elle-même s’éloigne de la rue pour libérer un patio entre l’habitation et le trottoir et est réunie par le mur du fond à une autre maison qui répète le même dessin de l’autre côté. Le style des maisons reprend celui de la ville d’Evora. Il ne veut pas rompre le profil de la ville mère qui est une ville portugaise traditionnelle donc assez rase. La construction de tours de logements créerait une rupture entre les deux entités (rupture consommée par les quatre barres d’immeubles au sud du secteur d’étude (2)) qu’il veut absolument éviter. Cependant cette idée de maisons à patio toutes identiques a fait peur aux habitants et aux élus locaux. Le projet fut même qualifié de déshumain et d’inacceptable. ![endif]--

Mais le génie de l’architecte fut de proposer plusieurs types de conceptions quant aux maisons elles-mêmes. De nombreux débats conflictuels comme dans tout processus de participation ont permis à Siza de vendre son projet aux yeux de la population. Malgré tout ce choix de la maison à patio n’a pas convaincu tout le monde ce qui fait que certaines maisons se retrouvent avec la maison face au trottoir et le patio renfermé au cœur de l’îlot urbain. Ce refus de la part de certains habitants donne finalement une image moins stéréotypé au quartier.

Malagueira se caractérise aussi par la création d’infrastructures au niveau des couvertures des maisons situées sur l’axe Est/Ouest donnant au quartier une seconde échelle d’analyse et de perception. Après de difficiles discussions avec les concessionnaires (électricité, eau, téléphone, gaz et télévision) la solution proposée fut acceptée car elle réduisait les dépenses de maintenance. Ainsi le quartier est quadrillé par un aqueduc permettant de relier les différents îlots.
Entre ces derniers, l’architecte a laissé quelques espaces libres qui seront occupés progressivement par des activités commerciales. De plus la rencontre entre le conduit principal et le conduit secondaire de l’aqueduc a permis la création d’une série d’espaces interstitiels qui multiplient les possibilités de projet futurs ce qui permet au quartier de Malagueira d’évoluer en fonction des attentes des habitants.

Ce nouveau type d’habitat dense, quoique similaire aux grands ensembles urbains pour les néophytes, se détache de l’esprit du modèle mère. Le quartier de Malagueira, en grande majorité accessible à l’achat et non à la location se compose uniquement de logements privés ou semi collectifs et s’oppose donc à la définition même d’un grand ensemble. L’objectif premier de la SAAL d’Evora était de parvenir à faire vivre sur le site 1200 familles, ce qu’a réussi Alberto de Siza sans avoir eu recours à la construction de tours d’habitations. Ce nouveau type de logements bien que particulier de par sa morphologie et son uniformité apparente a été une grande réussite. Les nombreux espaces laissés libres ont reçu de nombreuses critiques car ils donnaient à l’ensemble un aspect non fini mais ont grandement participé au caractère unique du quartier. Construit entre deux zones d’habitats sauvages, Malagueira continue d’attirer les habitants d’Evora de toutes conditions sociales, notamment la classe des « bobos » qui investit depuis peu ces maisons créant une réelle mixité sociale à la périphérie de la ville. Ville qui ne se différencie plus de ce quartier par un habile travail architectural et par des liaisons routières cohérentes et adaptés aux besoins locaux.
Ce quartier de Malagueira pourrait-il représenter une nouvelle façon de concevoir la densité urbaine autre que par la verticalité ?
Notes :
D’après Alvaro Siza lui-même, le projet a pu continuer uniquement par la forte volonté de la municipalité communiste d’Evora. Cela a cependant rendu plus difficile l’acquisition de crédits et l’approbation du projet.
C’est sous l’impulsion de Nuno Portas, secrétaire pour l’habitat et l’urbanisme du gouvernement provisoire que les travaux ont été suspendus afin de définir de nouveaux principes.
Photo principale, source google street view 2009
Références :
Alvaro Siza, 1998, “Imaginar a Evidência”.
Groupes Beaudouin – Husson architectes [en ligne], page consultée le 10/02/2016, http://www.beaudouin-architectes.fr/1991/02/alvaro-siza/
Planterose kévin, 2013, Les grands ensembles en Europe, entre désillusion et espoir, 10p.
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