Le programme Vinex, une réponse aux enjeux de densités et de mobilités pour les Pays-Bas.
- Kévin Planterose
- 18 févr. 2016
- 7 min de lecture

Le Royaume des Pays-Bas et ses 407 habitants au km² est le pays d’Europe le plus densément peuplé après Monaco et l’île de Malte. Cette caractéristique a fait craindre de la part des différents gouvernements un étalement urbain généralisé dès 1950 avec le développement du baby-boom. La Randstad, région urbaine polynucléaire regroupe les villes d’Amsterdam, de Rotterdam, de La Haye et d’Utrecht et concentre à elle seule 42% de la population nationale sur un peu moins de 20% du territoire. Le manque de place oblige ces dernières, avec l’aide du gouvernement à réfléchir à des solutions pour éviter un étalement urbain potentiellement fatal à la croissance économique du pays par une saturation des infrastructures routières qui ralentiraient les échanges de marchandises entre le port de Rotterdam et le reste de l’Europe. Afin de contrôler ces pressions urbaines, le programme Vinex a été adopté à la majorité pour contrôler l’urbanisation et réduire la part modale d’utilisation de la voiture.
Le programme Vinex, un outil audacieux évitant les échecs des 40 dernières années
Le programme Vinex ("Vierde Nota Ruimtelijke Ordening Extra" ou Quatrième Protocole d’Aménagement du Territoire en français) comme l’indique son nom n’est pas apparu subitement au ministère de l’aménagement néerlandais. Il est le résultat du constat fait des 40 années précédentes qui ont vu naître le concept de planification. Pour Jean Pierre Boutinet la planification « représente un futur désiré, entrevu à travers les moyens perçus pour y parvenir. ». Seulement cette planification aboutit sur un objectif unique et ne prend pas en compte le caractère systémique des villes. En France les ZUP (Zones Urbaines Prioritaires) sont un parfait exemple de planification ne prenant pas en compte le caractère global des villes mais répondant juste à une pression. Marc Wiel est l’un des premiers à critiquer cette approche non prospective et par extension à développer le terme de Planification stratégique. Ce concept des années 90 est moins linéaire, plus flexible, plus global et admet des possibilités de ruptures ou d’ajustements. Au Royaume-Uni on la nomme « Stakeholder » soit littéralement porteur d’enjeux. C’est une prise en compte prospective a différentes temporalités. Par exemple les aménagements de dépollutions sont chers aujourd’hui mais bénéfiques pour le futur. C’est avec cette nouvelle vision de l’aménagement que le programme Vinex est né. Il est là pour répondre aux problèmes de flux, de pollutions, de logements et d’étalement urbain.
Le programme Vinex, dernier composant d’une stratégie à trois niveaux
Avec une des superficies les plus faibles du vieux continent et une économie florissante, le pays est confronté dès les années 70 à un effet de désurbanisation, potentiellement néfaste à la vitalité économique de la région (1). Au fil du temps la politique néerlandaise conçoit une planification stratégique visant à aboutir à un contrôle radical du foncier, à une stratégie globale de limitation de la mobilité automobile et à la promotion du modèle de la compacte stad. Mais où intervient le programme Vinex ? Il est tout simplement le troisième composant de la stratégie développée par les néerlandais. Celle-ci se décompose comme suit : le rode contour permet par un zonage strict de délimiter les zones urbaines ou rouge (constructibles) des zones rurales ou verte (non constructibles) qui permet de définir clairement une orientation sur le développement du site avec des recommandations concrètes sur les droits à bâtir, la densité autorisée, le type d’activités ou les aides éligibles.
Le second objectif est de localiser au mieux les entreprises créatrices de flux (tant marchands qu’anthropiques). C’est dans cette optique que le principe ABC est né. Il s’agit d’un contrat passé entre l’Etat et les entreprises afin de relocaliser ces activités en fonction de leurs déplacements. Ainsi, les entreprises dépendant du transport routier seront replacées à proximité des boulevards ou des autoroutes tandis que les autres seront placées près des infrastructures de transports publics (2). Ce plan est aussi valable pour toute nouvelle entreprise désireuse de s’implanter dans la Randstad. Ce sont les préconisations de ce plan qui ont fait aboutir le nouveau ministère de l’aménagement sur la gare de La Haye. Ici le but est de promouvoir l’utilisation des transports en commun notamment pour les déplacements pendulaires.
L’habitat aux Pays-Bas, une affaire d’Etat.
Le programme Vinex vient à la suite des deux autres plans. Il s’articule sur la conception de chantiers publics de constructions de logements tout en respectant des objectifs environnementaux comme la réduction de la mobilité automobile et doit permettre de faire accepter la densité aux habitants. Ce programme est rendu possible par la maîtrise foncière et le soutien financier ministériel massif. Afin de réussir à attirer les citadins dans ces zones, le modèle de la maison individuelle avec jardin a été favorisé. Le principe d’aménagement de ces quartiers est simple, il privilégie les zones déjà urbanisées (densification par renouvellement urbain) ou leurs proximités immédiates. La mixité fonctionnelle y est importante afin de limiter les déplacements.

La réussite de ces quartiers repose sur un échange Etat/Ville : si cette dernière aménage des infrastructures de transports, des zones d’activités ou de loisirs dans ou à proximité des quartiers Vinex, l’Etat lui donne des subventions plus ou moins importantes. Entre 1995 (3) et 2005, 500 000 logements Vinex sont sortis de terre (soit 62% de la production immobilière du pays) répartis sur 36 sites. Au final ce sont 175 000 logements qui ont été construits sur des friches urbaines, zones dont on ne sait quoi faire dans le reste de l’Europe…
La densification par renouvellement urbain ou par continuité morphologique avec les agglomérations n’est pas le seul élément caractérisant les quartiers Vinex. Une politique cyclable de haut niveau y est nécessaire dans le but de diminuer la dépendance à l’automobile. Pour cela, il est tout d’abord nécessaire d’avoir une politique globale en matière de mobilité cyclable depuis la place du vélo dans le logement en passant par des infrastructures adaptées (cheminement mais aussi intermodalité) jusqu’aux moyens de stationnement. Les villes néerlandaises ont inventé le principe du « traffic calming » ou « zone 30 » et même la gratuité des parkings vélo comme à Apeldoorn afin d’augmenter la part modale d’utilisation du vélo. Mais les aménagements ne sont pas les seules solutions trouvées pour faire pédaler les habitants. Ces derniers disposent d’une politique fiscale avantageuse à partir du moment où la distance parcourue est supérieure à 10km pour les trajets domicile/travail (3) :
339€ sont déduits des impôts si le contribuable se rend au travail à vélo au moins trois fois par semaine.
7,2€ pour quatre trajets hebdomadaire et 18€ pour cinq trajets soit une réduction d’impôt pouvant aller jusqu’à 846€ pour 47 semaines.
Vélo offert si l’employé (d’une entreprise ou d’un secteur public) vient au travail en train.
Et les résultats ne se font pas attendre comme l’atteste le tableau suivant présentant la répartition des modes de déplacements d’écoliers amstellodamois.

Le dernier élément pris en compte par le programme Vinex est la maîtrise de l’urbanisme commercial. Les hypermarchés géants de périphérie sont bannis des villes néerlandaises à l’exception des magasins de meubles et des concessions automobiles ce qui présente l’avantage de ne pas défigurer les entrées de villes. Le petit commerce quant à lui est préservé, seules des supérettes et des supermarchés de proximité sont autorisées. Ces services doivent obligatoirement être accessibles par des moyens non motorisés.
Une remise en cause étatique visant à satisfaire les nouvelles demandes
Très populaire durant les premières années, la notoriété des quartiers Vinex commence à décliner à la fin des années 90. La critique de ces aménagements s’articule sur le fait que les logements et les jardins sont étriqués, monotones et répétitifs à l’excès. Cette critique est reprise par l’état qui dans un rapport d’évaluation officiel avoue une proportion trop excessive de logements mitoyens en bande, le manque de place de stationnement, la pénurie de services ou de loisirs, l’arrivée tardive des transports publics, la standardisation des programmes et une localisation de plus en plus périphérique du fait du manque de place dans les zones urbaines. Après une remise en cause étatique de ce programme, l’objectif est dorénavant de rendre les programmes de logements mitoyens plus attrayants par des formes innovantes.

Des quartiers Vinex 2.0 voient le jour et essaient de briser la linéarité, d’introduire des courbes ou de personnaliser les habitats en concevant une architecture moins stéréotypée comme à Stad van de Zon tout en concevant des environnements plus verdoyant et laissant une place prépondérante à l’espace public.

La seconde évaluation couvrant la période 2002 – 2008 est plus positive, elle affirme que les objectifs de densité ont été respectés, que la mobilité routière a diminuée entrainant une chute des émissions de CO2. Seulement le manque de place à l’intérieur des métropoles incite l’état à prospecter les disponibilités foncières des petites et moyennes villes reliées à la Randstad par les gares de banlieue. Le système ABC partant d’une bonne idée n’était réellement efficace que pour les nouvelles entreprises et n’a pas permis de délocaliser la majorité de celles déjà existantes. Le programme Vinex, sans être un échec n’est plus si bien vu que lors des dernières décennies et n’a plus été renouvelé. Melanie Schultz van Haegen à son arrivée au ministère de l’infrastructure et de l’environnement incarne le nouvel état d’esprit néerlandais : elle prône un contrôle plus fort de la part de l’état sur la construction et milite pour l’agrandissement des autoroutes qui devraient selon elle être toutes à quatre voies afin de fluidifier la circulation et se dit pour la remise en place de permis de construire dans le cœur vert si ceux-ci sont étroitement contrôlés.
Notes :
La désurbanisation contribue à la diminution des réserves foncières, des surfaces agricoles utiles, à l’augmentation du nombre et de la longueur des trajets de voitures et donc paradoxalement à une croissance des frais d’entretien des infrastrucures et du coût de certains services (comme le ramassage des déchets) mais aussi à l’appauvrissement des centres villes par le départ des habitants les plus riches vers la périphérie.
Tableau de classification des sites ABC.
3. Le programme Vinex est lancé dès 1991 par le nouveau gouvernement travailliste de l’époque, mais il faut attendre 1995 pour que les premiers travaux débutent..
Références :
Marie Christine Loriers ; http://www.passant-ordinaire.com/revue/29-158.asp#
Fiche OCDE sur la Randstad ; http://www.oecd.org/fr/gov/politique-regionale/38617755.pdf
Nicolas Fontaine ; http://www.mamrot.gouv.qc.ca/pub/observatoire_municipal/veille/outil_aide_decision.pdf
Rémy Allain ; Morphologie urbaine, chapitre 6, page 121
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