Le téléphérique urbain, un nouvel atout pour les transports publics?
- Kévin Planterose
- 2 mars 2016
- 8 min de lecture

Les transports par câbles représentent dans l’esprit collectif des français le modèle inhérent aux déplacements des skieurs dans les stations d’hiver. Dans d’autres pays, notamment en Amérique du Sud, ceux-ci sont un mode de transport autant utilisé que les tramways dans l’hexagone. Peu ou prou utilisés en France, ils sont remis sur le devant de la scène en 2015 avec la promulgation de la loi sur la transition énergétique. Cependant, est ce que ce mode de transport peut s’adapter aux différents réseaux urbains ? Apporte-t-il de nouvelles solutions pour les exploitants ? De plus en plus de villes, en sont persuadées et investissent dans ces nouveaux moyens de transports publics. Avant de présenter le projet brestois, projet assez singulier dans le paysage français, il semble nécessaire d’analyser ce système pour mieux comprendre ce qui en fait un des éléments les plus caractéristiques dans le monde du transport.
Cet article s’intéresse uniquement aux transports par câble de type téléphérique et télécabine qui sont des installations dans lesquelles les passagers sont transportés dans des véhicules suspendus à un ou plusieurs câbles.
2015, le commencement d’une nouvelle aire pour les transports par câbles
En France l’utilisation du téléphérique urbain est restée très marginale, la faute à de lourdes contraintes juridiques imposées aux municipalités. Effectivement, le développement d’un transport par câble nécessitait une législation équivalente à celle défini par le code du tourisme pour les remontées mécaniques en zone de montagne. Cependant il se trouve que les servitudes en faveur du transport public par câble sont inapplicables hors zone de montagne. Or, sans loi had hoc (loi spécialement conçue pour une formalité déterminée), la seule solution consistait à transposer les règles en vigueur pour les tramways aux téléphériques. Ces textes datant de 1941 obligeaient donc l’expropriation des habitations survolées. Cette action venant définitivement décourager tout acteur public désireux d’implanter un téléphérique urbain sur son territoire. Pourtant certains téléphériques urbains existent en France comme c’est le cas à Grenoble. Comment est-ce possible ? Tout simplement car la mise en service du téléphérique est antérieure aux textes de 1941.
Ces fortes contraintes sont abolies en 2015 avec la promulgation de la loi sur la transition énergétique. Celle-ci change la donne et instaure des servitudes d’utilité publique de libre survol, de passage et d’implantation des dispositifs indispensables à la sécurité (ordonnance n°2015-1495 du 18/11/2015) des transports par câbles. L’expropriation n’étant plus systématique, des négociations entre habitants et acteurs publics auront lieu afin de mettre en œuvre des Déclarations d’Utilité Publique (DUP) en vue de l’implantation d’un téléphérique en zone urbaine. Selon Christian Bouvier, vice-président de Poma (une des entreprises les plus importantes du secteur) cela « va ouvrir les villes au transport par câble et permettre aux décideurs d’y réfléchir sérieusement ».
Un grand nombre de modèles au service des transporteurs
Les Autorités Organisatrices de Transports Urbains (AOTU) et les Conseils Départementaux sont les seuls acteurs publics compétents pour implanter ce mode de transport. Heureusement pour eux, il existe de nombreux téléphériques et télécabines actuellement en service à travers le monde répondant à diverses caractéristiques et susceptibles de s’intégrer au mieux dans leurs réseaux de transports en commun. On retrouve ainsi :
Le téléphérique à va et vient : qui se compose de deux cabines d’une capacité maximale de 200 passagers chacune qui sont reliées à un même câble et se déplacent en sens inverse ;
Le téléphérique à va ou vient : qui se compose d’une seule cabine d’une capacité maximale de 200 places qui circule en aller-retour. Ce système peut être doublé mais nécessite un nouveau chemin de câble. Cette amélioration présente l’avantage d’avoir deux cabines fonctionnant indépendamment;
Les télécabines pulsées à mouvement unidirectionnel discontinu : d’une capacité plus faible, ce système permet l’arrêt complet en station et de positionner les cabines en train si le besoin s’en fait sentir comme c’est le cas à Grenoble. Cependant ce système est réservé aux trajets courts et à des débits modestes. Le modèle peut être amélioré par l’ajout d’un ou deux câbles porteurs ;
Les télécabines à mouvement unidirectionnel continu: la vitesse commerciale sur ces machines est constante par un système de débrayage en station qui permet d’éviter tout ralentissement sur le câble porteur ;
Les télécabines monocâbles: modèle classique, présent dans les stations de skis ;
Les télécabines doubles monocâbles, très peu utilisé le double monocâble est là essentiellement par améliorer la résistance au vent des cabines ;
Les télécabines bicâbles ou tricâbles.
Le tableau suivant permet de présenter ces différents modèles selon cinq critères caractéristiques des téléphériques et télécabines.

Au vu des données précédentes, il apparaît que chaque type de téléphériques ou de télécabines répondent à un contexte urbain spécifique. Cependant ces modes de transports sont-ils des concurrents sérieux pour nos modes de déplacements en commun traditionnels ?
Un mode de transport adapté aux villes
La partie qui suit compare les téléphériques urbains aux modes de transport en commun actuellement utilisé en France (bus standards, articulés, bi-articulés et aux tramways de 33m et de 43m de long) selon trois critères : la capacité, le temps de parcours et la consommation énergétique.
La capacité
Concernant la capacité théorique maximale, les téléphériques dépendent de deux facteurs : la capacité unitaire des cabines et la fréquence de passage aux stations. Les systèmes de surface (bus ou tramway) voient leurs capacités déterminées par une occupation de quatre personnes par m² en plus des places assises et une fréquence de passage de trois minutes. (Pour cette analyse, la capacité des systèmes bus est calculée à partir d’une configuration de type BHNS). Comme en atteste le graphique suivant, en fonction du matériel par câble choisit, le téléphérique tient largement la comparaison avec les autres modes de transports en communs.

Le point faible du transport par câble réside dans l’impossibilité d’augmenter la capacité théorique maximale. Si une ligne BHNS est saturée à un instant T, des véhicules peuvent toujours être rajoutés dans la circulation afin de fluidifier le trafic. Dans le cas du téléphérique, si le système n’est pas dimensionné d’origine pour supporter des charges supplémentaires, il est tout simplement impossible de rajouter des cabines sans modifier l’ensemble de l’installation. Une vision à long terme du réseau est nécessaire lors de son implantation pour s’adapter au mieux à l’évolution du territoire. A Bolzano (Italie), le téléphérique fonctionne avec huit cabines mais peut en recevoir deux supplémentaires en cas de hausse de la fréquentation.
Le temps de parcours
Il est l’élément fondateur de tout bon transport en commun dans l’esprit des usagers. Ce laps de temps entre le point d’origine et le point d’arrivée dépend de la vitesse commerciale du système de transport, de la fréquence de passage, du temps d’attente en station et des éventuels temps de transfert. Avec une vitesse commerciale moyenne comprise entre 18 et 24km/h, les transports par câbles égalent la vitesse commerciale des tramways français et dépassent les BHNS.
La consommation énergétique
A l’heure actuelle, il est très dur de réaliser une comparaison sur la consommation énergétique entre les transports par câbles et les transports de surface. D’une part la configuration quasi unique de chaque téléphérique (longueur, nombre de cabines, capacité des cabines, dénivelé, vitesse commerciale) fait qu’il est très compliqué de généraliser les résultats obtenus. D’autre part, l’implantation systématique des téléphériques français en zone de montagne entraine une surconsommation en énergie dû aux forts dénivelés. Cependant on peut supposer au vu de certaines données que les téléphériques bicâbles consomment entre 0.05 et 0.1 KwH/pko (rapport entre la longueur du trajet, le nombre de place et la consommation énergétique) tandis qu’un téléphérique tricâble consomme entre 0.01 et 0.05 KwH/pko. Ordre de grandeur similaire aux tramways qui consomment entre 0.01 et 0.03KwH/pko.
Comparer point par point les transports par câbles aux transports en commun classiques ne semble pas faire de ces premiers une solution miracle. Néanmoins certains des points forts du transport par câble comme son indépendance du trafic routier, sa capacité à franchir les ruptures urbaines (tant anthropiques que naturelles) ou encore sa faible emprise au sol en font un mode de déplacement unique. Le futur téléphérique urbain de Toulouse permettra aux usagers de relier l’Onctopole à la cité des sciences en moins de 10min contre plus de 40 actuellement via le trafic routier (bus ou voiture). Ajouté à cela un prix d’achat nettement inférieur à l’implantation d’une ligne de tramway, le téléphérique urbain semble prêt pour s’implanter durablement dans les villes françaises.
Brest Métropole, premier projet de téléphérique urbain en France
Brest Métropole et ses 207 210 habitants (selon l’Insee 2013) est la plus petite métropole française après celles de Montpellier et de Rennes. La Penfeld, fleuve marquant les frontières historiques de la ville est une coupure urbaine difficilement franchissable. Seulement trois ponts la traversent en centre-ville et deux d’entre eux (le pont de la Recouvrance et le pont de l’Harteloire) sont en limite de capacité. Disposant déjà d’une ligne de tramway traversant la ville d’Est en Ouest et empruntant le pont de la Recouvrance, la métropole cherchait une solution pour relier son futur quartier des Capucins et sa zone culturelle d’une superficie totale de 16ha au cœur historique de la ville situé sur la rive Est.
Dès 2010, l’idée du téléphérique urbain est proposée par les différents acteurs locaux pour connecter le secteur des Capucins au réseau de transports urbains. Il faut toutefois attendre 2014 pour voir lancer l’appel d’offre. L’avantage du tracé de ce téléphérique repose sur le fait qu’il traverse un fleuve et une zone militaire ce qui a eu pour effet de ne pas obliger l’intercommunalité à exproprier quiconque. Ce quartier des Capucins commencé en 2014 accueillera à la fin des travaux 560 logements - soit environ 4000 habitants - et 25 000m² de surfaces commerciales, récréatives et culturelles (notamment la future médiathèque).
Ce qui a séduit la collectivité à adopter ce système ? Son coût, deux fois moins cher que la création d’un quatrième pont (projet estimé aux alentours de 19millions d’euros), sa faible émission de CO2 (30 fois inférieur à celle d’une voiture) et son côté ludique permettant d’offrir un point de vue unique sur la ville à 72m de hauteur.
Le Téléphérique de type va et vient sera relié aux stations Château et Capucins de la ligne de tramway. Composé de deux cabines de 60 places parcourant les 460m séparant les deux stations en à peine 3min, le téléphérique permettra de transporter jusqu’à 1200 usagers par heure. La billettique unique entre bus, tramway et téléphérique permettra à n’importe quel usager des transports en commun brestois d’utiliser le transport par câble. Très bien desservi, ce quartier élargira le cœur de la métropole brestoise sur la rive Ouest de la Penfeld et se retrouvera intégré dans l’aire piétonne urbaine.

Plus économique, écologiquement soutenable, les téléphériques urbains se démarquent surtout des autres modes de transports en commun par leur faculté à traverser les coupures urbaines. Cependant est-ce qu’un téléphérique peut-il réellement composer le cœur d’un système de transport urbain ou seulement se limiter à relier deux points difficilement joignables ? La question reste ouverte. Rio de Janeiro possède la plus longue ligne de téléphérique (environ 4km) mais ne possède que 4 stations sur la ligne ce qui reste faible pour desservir correctement une zone urbaine européenne. Car si dans les favelas, marcher 1km pour atteindre un transport en commun efficace est loin d’être une aberration, en France cela reste inconcevable. La mentalité des usagers reste le point central à prendre en considération pour des transports en commun efficace. Ignorer ces façons de faire est la meilleure solution pour rendre superflu tout mode de transport en commun aussi pertinent soit-il sur le papier. Dans tous les cas, les téléphériques ne font que commencer à faire parler d’eux.
Références:
photo de couverture: ouestfrance.fr
Ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer: http://www.developpement-durable.gouv.fr/
fiche CERTU n°125: transport par câble aérien en milieu urbain
quartier des Capucins: http://www.capucinsbrest.com/index.php/un-projet-de-territoire/le-telepherique.html
Les échos.fr: http://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/021715073467-telepherique-urbain-les-villes-se-lancent-1202015.php
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